PALAZZO SAN FELICE

Sandor Marai, immense écrivain et journaliste hongrois, quitte en 1948, un pays où il a vu le jour en 1900, ne supportant plus l’effondrement des libertés et l’avènement d’une nouvelle barbarie. Il se réfugie en Italie, à Naples où il s’établit jusqu’en 1952 avant d’émigrer vers les Etats-Unis.

Sandor Marai finit ses jours en 1989 à San Diego. C’est sur le Pausilippe, majestueuse colline dominant la baie de Naples qu’il situe son roman autobiographique, Le miracle de San Gennaro, miracle de la liquéfaction deux fois l’an du sang de Saint Gennaro. Les pages sur l’exil qu’il est en train de subir, sont d’une actualité cruelle et universelle.

Extrait 

LE MIRACLE DE SAN GIOVANNI  

… Ces apatrides sont singuliers, presque inquiétants, ils ont un regard différent du nôtre. Ils s’efforcent de se montrer courtois et lisses, écoutent patiemment les questions tatillonnes des fonctionnaires qu’on leur présente et prennent les bateaux qui les transportent à l’étranger où d’autres fonctionnaires, d’autres documents, d’autres mondes étranges… tout en étant conscients qu’au fond ils n’ont aucune destination. Un homme qui, naguère se trouvait sur l’autre rive – une rive d’où il a contemplé pendant des années l’infernale obscurité dans laquelle végétaient ses prochains… cet homme-là ne veut arriver nulle part. Mais il ne désire pas non plus revenir sur ses pas. En réalité, la société actuelle des réfugiées ne veut plus ni arriver ni revenir… Combien sont-ils ? On ne peut le savoir… Les apatrides dans leur pays, sans domicile fixe, sans papiers, vivent au jour le jour et n’attendent plus rien. Quand à ceux qui ont quitté leur patrie, ils n’espèrent plus en trouver une autre, où ils se sentiraient chez eux. Ils ne font que séjourner… avcc ou sans autorisation… Qu’est-ce que la patrie au fond, sinon un sentiment qu’il faut éprouver comme on ressent l’amour, ou un courant qui, une fois interrompu, ne peut plus être rétabli ?